Avec Juste être un homme, Craig Davidson revient sur un de ses sujets favoris, la boxe. Mais tout comme les nouvelles de Un goût de rouille et d'os, Juste être un homme va beaucoup plus loin et explore les recoins les plus sombres de la psyché masculine à l'aune d'un siècle qui tend à niveler notre appartenance à un genre et une identité sexuelle.
Juste être un homme pose donc cette question toute bête : C'est quoi un homme aujourd'hui ? Est-ce un mastard autoritaire fan de foot ou de rugby agrippé à sa virilité par peur de ne pas assurer et de ne pas être assez masculin ? Est-ce un être sensible, intelligent et profond mais qui s'effondre dés qu'il doit faire face à la moindre responsabilité ou à un problème qui n'est pas d'ordre intellectuel ? Un peu des deux ? Plus que ça ? Ou rien de tout ça ? Les hommes doivent-ils - et peuvent-ils - se comparer à leurs parents et leurs grands-parents, dans ce domaine ? Les personnages de Craig Davidson, si ce n'est Craig Davidson lui-même, se posent semble-t-il souvent ses questions.
Une difficile renaissance
Projetés dans un univers qui n'est pas le leur (mais « on ne peut pas éternellement vivre dans une bulle » comme le dit l'un des protagoniste du roman), les « hommes » de Craig Davidson perdent le contrôle et s'égarent pour finalement s'abandonner à leur destin et tenter une difficile renaissance.
C'est le cas de Paul Harris, jeune homme issu de la classe aisée de Niagara Falls, qui fait preuve de condescendance envers un habitué d'un bar de nuit et se voit sauvagement roué de coup.
Brutalement acculé au fait d'être « un homme » il décide d'apprendre à se défendre et s'engage dans des combats de plus en plus brutaux. Rob Tully quant à lui doit apprendre à survivre dans les quartiers les plus durs de la ville depuis sa plus tendre enfance. Initié à la boxe par son père dés son plus jeune âge, il n'en peut plus et veut raccrocher à Foix.
Des protagonistes qui font l'apprentissage de la violence dans la douleur, pas de doute, nous sommes dans un roman de Craig Davidson. Pourtant, si Paul et Rob sont destinés à se rencontrer et à s'affronter, ces deux personnages font bel et bien le chemin inverse, puisque l'un veut s'endurcir pour être capable d'affronter la violence du monde et l'autre, qui l'affronte depuis sa prime jeunesse et sait qu'elle rime souvent avec misère sociale et familiale, est prêt à tout pour s'en éloigner.
Si Paul semble vouloir endurer les souffrances que sa génération ne veux pas assumer (« Votre génération a beaucoup à prouver », lui dit un ancien boxeur vétéran du vietnam), Rob veut quitter sa ville pour renaître ailleurs, dans un endroit où il n'aura pas besoin de ses poings pour réussir et se faire respecter. On le voit, Juste être un homme, comme son titre bâtit sur une citation de l'écrivain Chester Himes semble manier les archétypes, mais cela va plus loin. En brossant le portrait de ces deux hommes contemporains, Davidson questionne l'identité masculine en profondeur.
Sous la pression sociale
Le modèle des sociétés occidentales fonctionne à deux vitesses.
D'une part il a tendance contrôler les rapports humains en les rendant les plus pacifique possible, facilitant ainsi leur bonne marche et veillant à ce que rien ne viennent gripper leur délicat rouage.
De l'autre, il pousse à une violence sous-jacente de type passive/agressive en développant toujours plus la domination d'un capitalisme patriarcal où règne l'ambition personnelle, la lutte des classes et une implacable domination par le pouvoir et l'argent. Craig Davidson l'a très bien compris, et ses personnages affrontent constamment ces contradictions. Dans leur environnement familial et social, mais également de manière intime. Ce qu'exprime très bien Juste être un homme, de manière subtile et non manichéenne.
Loin des clichés "fight club", les protagonistes de Craig Davidson se cherchent et mutent sous la pression sociale, ou tout simplement celle de la vie. Craig Davidson n'est pas Chuck Palahhiuk, il ne cultive pas la grandiloquence et le goût de l'exagération gratuite. Sa violence est réaliste, elle fait mal, tout comme son style, qui fait mouche. Cet auteur est décidémment "à suivre" !